La pauvreté d’expérience du sujet, Corinne Rondeau.

La formule "Pauvreté d'expérience" de Walter Benjamin èvoque la perte des rapports historiques entre les sujets et les objets par l'impact de la technicité. On interrogera cette perte penser le design comme la crise de la relation spécifique et moderne du sujet et de l'objet. Les conséquences de cette crise conduisent à redéfinir le design comme art de "qualité de relations" et s’imposera comme un mode de pensé singulier de la crise des sujets et des objets dont l'enjeu est une faillite de la fonction.

1. La crise du sujet est-elle la conséquence de la technicité ?

La technicité a donc comme effet de supprimer la raison historique des objets et de suspendre la conscience d’une action, si minimale soit-elle. Cette proposition, si elle est vraie, peut augurer chez les sujets de nouveaux comportements en fonction de ce qui les environne (prise en charge par la technique des actions du sujet), et les inviter à agir sans penser à ce qu’il font (franchir un seuil sans se soucier du passage).
Rejetons tout de suite la critique selon laquelle la technicité serait la cause du dépérissement de l’expérience commune et retenons ceci : l’expérience s’épuise dans le temps même d’une action passée inaperçue ou dans un choc (la porte qui s’ouvre ou qui reste fermée) entraînant une perte du rapport historique des sujets aux choses (qu’est-ce qu’une porte ?). D’une certaine manière, la technicité produit des actions à notre place. L’action substituée est pensée en amont hors le sujet qu’elle concerne pour libérer du flux pour une ouverture mécanisme.
Cette transparence de la porte ou du monde, transparence que nous entendons avec Aristote comme " ce qui bien que visible, ne l’est pas en soi ", nous devons la garder en mémoire parce qu’elle conduit, par-delà le design, à la relation des sujets et des objets. La transparence est en effet la porte elle-même, à savoir ce qui articule deux espaces contigus en effaçant justement l’effacement de la qualité du passage. On pourrait dire alors que la relation du sujet et de l’objet est le rapport entre une construction intelligible et des conditions particulières d’apparition. D’autre part, il ne peut y avoir de sujet sans objet alors qu’il peut y avoir des objets naturels sans sujet. Il n’y a pas de sujet sans culture, sans civilisation et donc sans objets. Dés lors, il ne convient pas d’observer ce qui détermine le sujet dans son mode d’être avec un objet, mais bien de mettre à jour les forces qui s’exercent de l’un à l’autre. En ce sens, ce qui passe sans être vu est l’expression d’un seuil qui recueille la qualité d’une relation. Changer cette qualité, c’est opérer des variations dans le rapport de forces...


2. Esthétique et politique du design ou comment repenser la " Nouvelle méthode d’approche, Le design pour la vie " de Moholy-Nagy.

Partout on vante les mérites de la porosité des frontières, et notamment dans l’art et dans le design, et on valorise des phénomènes comme la transdisciplinarité.
Dans la mesure où il a été largement absorbé sous le mouvement historique du Bauhaus, le design a été négligé autant par le discours scientifique que par le discours artistique. Par ailleurs, sa nature technique et sa fonction utilitaire l’ont privé de l’universalité qui aurait pu permettre de l’annexer à une philosophie de l’art. Et le design lui-même a, semble-t-il, maintenu une résistance à l’annexion. Mais d’un point de vue esthétique, le design a négligé cette problématique en rejetant la dimension du sensible. Pour quelle raison ? Sans doute pour conserver l’autonomie de la fonction liée à l’objet et contribuer ainsi à son maintien tacite dans le champ du social, du technique et de l’économique.
L’histoire même du design est pauvre. Une science historique se détermine d’abord par ses écrits. Mais ce symptôme n’est pas un point négatif. Au contraire, la possibilité de ne pas produire de déterminations et le bon ordre des causes. Le design n’a pas trouvé son lieu de discours, ce qui l’empêche de se convertir à une sociabilité ou une culture quelconque. Sa seule chance est d’être dans une marge théorique ; son régime de vèrité devient alors l’expression de la relation qui lie son objet au discours. Car le design a son objet. Celui-ci n’a ni forme ni fond, il est tout simplement une "approche méthodique pour la vie" [...]
Le design ne peut que s’interroger alors sur cette crise en dissociant la fonction de l’expérience, parce qu’aucune création ne peut se contenter d’être la fabrication de nouvelles formes, parce que toute création interroge la vie des sujets modernes au coeur d’une crise.

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