L’émergence d’un groupe de designers maghrébins nous fait interroger sur la perception de la culture maghrébine et son impact sur la création design en France. Malgré son insertion dans le circuit professionnel, le designer maghrébin est-il condamné à rester « ensaché » dans l’identité stéréotypée de ses origines ? Vit-il son appartenance comme une revendication ou est-ce le regard du Français qui le cantonne dans ce profil ? Considérant la production des designers comme potentiel sémantique, nous pensons qu’un travail de décryptage, appuyé par le décodage du discours du prescripteur, serait à même de répondre à nos interrogations
1. Etat des lieux :
Elaborer une recherche doctorale en design en Tunisie est une entreprise difficile à tous les égards. Si, en France, la recherche dans ce domaine commence à peine à s’instaurer, en Tunisie, en revanche, le design, lui-même, en tant que discipline, demeure une réalité balbutiante. Pays dit émergeant, la Tunisie n’est pas encore un soubassement propice à la prégnance de ce secteur. Le design industriel se manifeste sous forme de quelques expériences isolées, à l’initiative d’enseignants à l’esprit entreprenant et de firmes commanditaires avant-gardistes animées d’élan de mécénat. Par ailleurs, la politique d’Etat mise en vigueur, sous le couvert d’un savoir-faire artisanal ancestral et d’un répertoire stylistique patrimonial relativement riche, n’encourage que la création artisanale.
Baignant dans ce contexte, nos préoccupations personnelles sont alors davantage liées à la dimension culturelle que recouvre de plus en plus le design et le rôle que cette dimension peut jouer dans l’économie d’un pays postmoderne, fortement industrialisé, qui, comme ses pairs, est en quête incessante d’humanisation.
2. Naissance d’un sujet :
Etant tunisienne, nous nous intéressons de fait à la France. Ancrer principalement notre recherche sur l’expérience de ce groupe de designers comme noyau de départ, plateforme pour une étude plus élargie concernant le rôle de la culture maghrébine dans le design en France, nous a paru être une aubaine car cela nous permet l’équation suivante : intégrer des questions liées à la culture du Sud à une scène socioculturelle dynamique occidentale.
3. Problématique :
La consécration connue par ces designers en France, à leurs débuts, qui s’est exprimée sous forme de prix, d’encouragements et une forte médiatisation, nous fait interroger à plusieurs niveaux.
Il y a lieu alors de se demander si la culture maghrébine n’est pas instrumentalisée par la France afin d’en tirer des idées, des références, un concept autre capable de faire la différence dans le paysage français et international ? L’esprit postmoderne qui se manifeste en partie par la récupération et le recyclage culturels ne peut être qu’un facteur favorable. Comment pourrait-on encore expliquer ce regain d’intérêt pour les référents culturels nord-africains ? Est-ce une manière créative, de la part d’artistes maghrébins, de revendiquer leur appartenance à une aire géoculturelle autre ?
L’ère et l’air de mondialisation ont-ils poussé les Occidentaux à avoir recours, entre autres, à la culture maghrébine, qui loge chez eux, comme nouveaux stimuli dans une vague stéréotypée d’homogénéisation et d’indifférenciation asphyxiante ?
4. Nouveaux horizons :
Le sujet positionne la démarche et le contenu de ce travail dans une aire à cheval entre la sociologie culturelle et le design. Néanmoins, les finalités de l’étude la recentrent dans les préoccupations du designer-chercheur car, dans un second temps, cette recherche vise à jeter une lumière sur la situation actuelle en Tunisie et proposer des idées-projets capables de changer, un tant soit peu, l’état d’esprit régnant.
La tendance postmoderne, qui caractérise notre paysage créatif en Tunisie, consiste en la réappropriation de l’usage des signes de notre patrimoine, n’ayant pas vécu ces mêmes signes à une autre époque. La « répétition stérile de recettes formelles » (Filali 2006) engendre une sorte de sclérose connotant l’archaïsme et la misère. Prétextant indéfiniment sa richesse doit-on se raidir sur notre patrimoine ? Ou doit-on plutôt s’en détourner pour embrasser ouvertement un ailleurs autre ? Pour s’inscrire un jour dans l’histoire il faut d’abord s’inscrire dans la contemporanéité qui est, elle, nécessairement transnationale, universelle. Un compromis reste possible, inventer une attitude hybride pour pouvoir répondre à la fois aux exigences des deux tendances, localisme et globalisation, tout être civilisé à en lui une dimension patrimoniale et une dimension internationale. « Nous sommes (…) définis à la fois par nos héritages et nos aspirations » (Porcher, 2004). Cesser de « réagir » pour tout simplement « agir » dans une perspective de gagner les rangs du circuit économique.
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